La mutualisation par l’exemple
[MAGAZINE] Face à des budgets serrés, les Sdis cherchent des pistes d’économies en mutualisant leurs savoir-faire. Groupements d’achats, réseaux santé et sécurité au travail, formations partagées…, la mutualisation inter-Sdis s’appuie sur une culture commune. Mais qu’en est-il lorsque le Sdis se tourne vers son principal financeur, le conseil départemental ? La mutualisation avec une collectivité coule-t-elle de source ?
Contraints par des budgets resserrés, les Sdis se sont engagés sur la voie de la mutualisation. Depuis une dizaine d’années, ils se tournent vers leurs pairs (groupements d’achats inter-Sdis, réseaux santé-sécurité, formations partagées…), mais aussi vers leurs principaux financeurs : les conseils départementaux. Et pour cause : ils partagent avec eux une proximité géographique, parfois une gouvernance commune – un président du conseil départemental également président du Casdis –, et des finances en berne… Autant d’ingrédients qui favorisent la commande politique d’un rapprochement de leurs services fonctionnels. Objectif affiché : réaliser des économies.
Atelier commun dans le Rhône
À l’origine des premiers rapprochements se trouvent souvent des occasions saisies, premier jalon d’une future mutualisation plus large. « Il y a une dizaine d’années, le Sdis du Rhône et le conseil général ont été confrontés à un besoin commun : investir dans un bâtiment pour accueillir leurs services logistiques », se souvient le colonel Serge Delaigue, directeur du Sdmis, dans le Rhône. À l’époque, le président du conseil d’administration et du conseil général opte pour la construction d’un bâtiment commun aux deux entités, sur le site du Sdis 69. Le personnel de celui-ci est ainsi chargé de la maintenance des véhicules d’exploitation routière du département. Depuis, non seulement la métropole de Lyon a intégré le dispositif, mais la liste des services mutualisés n’a cessé de s’élargir : « Nous avons conclu une convention avec chacune de ces collectivités. Elles sont réactualisées tous les trois ans selon les besoins. Dès que nous avons intérêt à travailler ensemble, nous le faisons », souligne le colonel Delaigue. Réseaux de communication, maintenance des bâtiments, conduite d’opérations immobilières (le Sdmis conserve néanmoins la maîtrise d’ouvrage)…, la liste des domaines d’entraide est longue.
« Service unifié » en Haute-Marne
La réalisation d’économies n’est pas le seul moteur de ces partenariats. Les Sdis vont aussi chercher auprès du conseil départemental des compétences complémentaires. « En Haute-Marne, notre rapprochement s’est amorcé via le renouvellement du casernement : nous nous sommes appuyés sur la Direction des bâtiments départementaux. Cette première étape nous a conduits à chercher d’autres synergies, sous l’impulsion du président du Casdis de l’époque, alors président du conseil général », se souvient le lieutenant-colonel Sébastien Planchon, chef du groupement chargé d’organiser la mutualisation au Sdis 52. Cette volonté politique s’est matérialisée par la création d’un « service unifié » entre le Sdis de Haute-Marne et le conseil départemental, en 2014 : ce dernier met à disposition quatre personnels, qui composent le service financier du Sdis, dont Pascale Rebourg, sa directrice administrative et financière (DAF) depuis 2016. « Elle est la porte d’entrée du service unifié avec le département », présente Sébastien Planchon, qui travaille en binôme avec elle sur tous les sujets touchant à la mutualisation. Autre exemple, les deux mécaniciens du Sdis sont installés dans des locaux du département. Même chose pour le CIS de Châteauvillain. Inversement, le Sdis accueille dans ses murs la permanence du service viabilité hivernale. « Pour être davantage dans le donnant-donnant, nous étudions la possibilité de partage de notre SIG, ou encore d’apporter notre concours à la formation des agents en secourisme », souligne le lieutenant-colonel Planchon.
Commandant Laurent Aude
Chef du Centre d’évaluation et d’optimisation des services d’incendie et de secours (CEOSIS) du Sdis 79 et co-auteur du mémoire intitulé « Les mutualisations externes des Sdis : prémices d’une nouvelle organisation ? » pour l’Ensosp (janvier 2016), avec Xavier Metras (Sdis 49), Walter Pascual (Sdis 35) et David Vergnaud (Sdis 16).
« Mutualiser permet de devenir plus performant. »
SPF-le Mag : Où en est-on de la mutualisation dans les Sdis ?
Commandant Laurent Aude : La situation reste très hétérogène sur le territoire. Certains Sdis vont très loin, comme le Sdmis (Rhône), tandis que d’autres ne s’engagent pas dans cette dynamique. S’il n’y a pas de profil-type, une chose est sûre, les Sdis dont les ressources diminuent sont davantage tentés de chercher des pistes d’économie par la mutualisation. Outre le levier économique, c’est aussi pour vaincre leurs vulnérabilités ou encore pour partager des compétences que les Sdis s’engagent dans cette démarche. Mutualiser est une opportunité pour devenir plus performant.
Quels sont les facteurs de réussite et, inversement, les freins à la mutualisation ?
Partager une culture commune facilite la réussite d’une mutualisation : « On mutualise bien quand on se connaît bien. » C’est pour cette raison que les Sdis mutualisent d’abord les uns avec les autres. Lorsque la mutualisation se fait avec le conseil départemental, elle est souvent la suite logique d’un partenariat de longue date. Quant aux freins, ils ne sont pas techniques ou juridiques, ils sont avant tout sociologiques. Certains tiennent aux différences de culture : la signification de « l’urgence » n’est pas la même pour un conseil départemental ou un Sdis. D’autres tiennent aux réticences et aux craintes que suscite au sein des Sdis comme des collectivités cette évolution. Elles doivent être abordées avec les agents dès le début de la démarche. Au-delà, la mutualisation génère également la crainte d’une perte de gouvernance pour les directions des Sdis. C’est pourquoi elles ciblent d’abord les domaines sans incidence en la matière : il est facile de se retirer d’un groupement d’achat, moins d’un atelier partagé avec le conseil départemental.
Quelles sont les préconisations de votre mémoire ?
L’objectif annoncé des mutualisations est de faire des économies, mais, paradoxalement, aujourd’hui peu de départements ou de Sdis évaluent leur impact financier en comparant la situation avant et après la mutualisation. Par ailleurs, nous proposons que la DGSCGC facilite les pratiques de mutualisation en accompagnant les Sdis dans leur démarche, et fasse émerger une vision prospective, nationale et cohérente sur le territoire en la matière.
Extension de la convention
Pour le Sdis du Cantal, le conseil départemental est devenu un partenaire incontournable. « Avec 147 000 habitants et 37 centres d’incendie et de secours, l’établissement public est un département de catégorie C, qui a intérêt à s’adosser aux compétences d’une collectivité à l’assise plus large pour garantir un maillage territorial de proximité », présente le colonel Jean-Philippe Rivière, directeur du Sdis 15. Mise en place en 2014, la convention de mutualisation s’est progressivement étendue. Après l’informatique administrative, l’uniformisation du logiciel de gestion des ressources humaines avec celui du département et des commandes communes pour les achats et les contrats d’entretien, elle s’étend désormais au bâtiment, le conseil départemental intervenant en qualité d’assistance à maîtrise d’ouvrage pour le Sdis 15, mais aussi à la politique d’hygiène et sécurité, le CD mettant à disposition duSdis un ingénieur et un assistant prévention, à raison respectivement de 20 % et 80 % de leur temps. D’un point de vue financier, comment ces différents niveaux de mutualisation se matérialisent-ils ? Dans la Haute-Marne, le conseil départemental prend en charge les quatre personnels du service unifié. En contrepartie, la contribution à son budget a été diminuée d’autant. Dans le Rhône, le conseil départemental rembourse au Sdmis les dépenses réelles de pièces et de sous-traitance ainsi qu’un certain nombre de salaires prévus dans la convention. Inversement, le Sdmis lui reverse des jours de travail lorsqu’il utilise ses services du bâtiment. Rien de tout cela dans le Cantal, où la mutualisation se fait pour l’heure gracieusement. Chaque département avise.
Quelles limites ?
Que dire de ces rapprochements entre conseils départementaux et Sdis ? Tous les services fonctionnels sont-ils mutualisables ? « Nous en excluons les ressources humaines, tranche Sébastien Planchon. L’essentiel de notre effectif étant composé de sapeurs-pompiers volontaires, s’en détacher serait abandonner notre cœur de cible qu’est le volontariat. » Si les complémentarités ne font aucun doute, la mutualisation n’est pas toujours un long fleuve tranquille. « L’enquête que nous avons menée auprès de 36 Sdis ayant mis en œuvre des mutualisations fait ressortir que lorsqu’ils intègrent le giron du conseil départemental, les ateliers mécaniques ou la gestion bâtimentaire ne donnent pas toujours satisfaction aux Sdis », souligne le commandant Laurent Aude, co-auteur d’un mémoire pour l’Ensosp sur le sujet (cf. interview ci-dessous). Outre cette différence de culture, la réticence au changement, mais aussi l’écart de grilles indiciaires, la crainte d’une surcharge de travail ou d’une éventuelle fusion…, le travail en commun peut faire naître des résistances. « Au départ, certains peuvent vivre la mutualisation comme une concurrence plutôt qu’un partenariat. Cela demande de la concertation, de l’accompagnement humain », glisse Pascale Rebourg, DAF du Sdis 52. À l’heure où l’avenir des conseils départementaux est incertain, ces efforts ne risquent-ils pas d’être remis en cause ? Pour éviter cet écueil, les Sdis diversifient les acteurs avec lesquels ils mutualisent leurs compétences, à l’instar du Sdmis, qui a cartographié l’ensemble de ses partenariats avec les collectivités, mais aussi les réseaux de Sdis ou encore les acteurs privés… Les mutualisations se déploient en toile d’araignée.
Coline Léger
Rationaliser les dépenses, optimiser les moyens
Les Sdis d’Île-de-France, l’Essonne, la Seine-et-Marne et les Yvelines, ont mutualisé leurs achats et négocié leur prix pour obtenir de nouveaux VSAV. Un appel d’offres de la grande couronne hors Val-d’Oise, ses véhicules évoluant sur châssis poids lourds, qui s’étend sur quatre ans. L’Essonne s’est récemment dotée de sept nouveaux châssis et a utilisé sept anciennes cellules de VSAV réformées, reconditionnées et encore en très bon état. « Rationaliser les dépenses et optimiser les moyens » résume parfaitement cette équation. Une économie pour le département de 30 000 euros par VSAV, soit un coût total de 68 000 euros au lieu de 98 000 et une économie de 210 000 euros pour le tout. 5 000 euros ont été économisés sur le châssis. L’opération pour les Yvelines porte sur 44 transferts de cellules, 30 étant déjà effectifs. Du côté de la Seine-et-Marne, ce sont 41 nouveaux véhicules qui seront ainsi mis en service, dont 15 cette année. M. S.