De l’intérieur de la préfecture assiégée
[Magazine] Plusieurs incendies visant la préfecture du Puy-en-Velay (Haute-Loire), alors que le Centre opérationnel départemental (Cod) y était activé, ont été volontairement allumés, le 1 décembre dernier, lors de manifestations des « gilets jaunes », contraignant les secours à réagir en contexte hostile avec une stratégie adaptée.
Vers 9 heures, un rassemblement, qui atteindra 2 000 à 3 000 personnes, se constitue progressivement dans la ville et converge vers la préfecture. Le cortège de « gilets jaunes » comprend aussi des agriculteurs avec des tracteurs et des remorques de pneus, ainsi que des motards. Le Centre opérationnel départemental (COD) a été activé. Un véhicule de syndicat stationne devant la grille principale. L’ambiance est plutôt calme dans la matinée. Mais vers 12 heures, tout s’accélère : les manifestants forcent la grille et déversent des pneus dans la cour, au pied du bâtiment, faisant craindre une mise à feu qui se propagerait. Les forces de l’ordre parviennent à évacuer et à refermer le périmètre. Face à cette montée de tension, le dispositif du CSP, proche du centre-ville mais à l’abri, est renforcé avec deux VSAV, un CCR et un chef de groupe. À la préfecture, des stocks d’extincteurs sont regroupés et le jardin situé à l’arrière est fermé et sécurisé par la police municipale.Dans l’après-midi, les forces de l’ordre repoussent plusieurs tentatives de nouvelle intrusion dans la cour. Des assauts « répétitifs et violents », témoigne le lieutenant Pierre Chausse, alors présent au COD, au dernier étage de la préfecture, avec vue directe sur la situation. Un feu est allumé par les manifestants devant la grille. Le DDSIS se présente au COD et fait monter le dispositif en puissance avec un CCR, un VSAV, un VLI et un CDG positionnés dans le parc. Un point de rassemblement des victimes est mis en place dans le bâtiment. Le CSP est, quant à lui, renforcé par une groupe SAP, un groupe incendie et un officier de liaison. Vers 15 heures, la situation se dégrade à nouveau. «Des jets de cocktails Molotov provoquent plusieurs départs de feu dans le bâtiment et déclenchent les alarmes incendie. Aidés de personnels de la préfecture, nous les éteignons au fur et à mesure avec des extincteurs et effectuons les levées de doute sur les multiples déclenchements d’alarmes», explique le lieutenant Chausse. Deux LDV 500 sont établies à sec dans un premier temps pour assurer la protection du bâtiment par l’intérieur. Dans l’enceinte, mais à l’extérieur, des binômes sont engagés sous protection de CRS pour neutraliser les foyers avec des extincteurs. Les blessés des forces de l’ordre sont pris en charge au point de rassemblement des victimes.
Attaques continues
En fin d’après-midi, alors que les assauts restent continus et que les forces de l’ordre ont reçu des renforts en personnels et en munitions de défense, un nouveau départ de feu est signalé aile gauche. Attaqué par le CCR avec le renfort de deux FPT et d’une EPS que les manifestants avaient bloqués, il se propage au premier étage par la cage d’escalier. Entre-temps, le dispositif a à nouveau été complété pour former un groupe secours aux personnes et un groupe incendie. Provenant du CSP, ce potentiel est reconstitué en prévision d’une extension des interventions dans la ville lors de la dispersion des manifestants. Le soutien sanitaire opérationnel est assuré par le Service de santé et de secours médical du Sdis (médecin, infirmier et pharmacien) et le Samu. Le PC de colonne avec un chef de site, la logistique, la cellule d’assistance respiratoire sont également implantés dans le parc, sécurisé et à l’abri des regards. Côté victimes, le bilan s’établira à 18 policiers et gendarmes blessés dont neuf transportés par une noria de deux VSAV. à l’extérieur, parmi les manifestants, 14 blessés, dont deux en urgence absolue, ont été pris en charge par les sapeurs-pompiers, sans compter les victimes qui se sont rendues à l’hôpital par leurs propres moyens. L’ensemble du dispositif sera levé vers 4 heures du matin.
Crise nationale et chiffres
Plus d’un mois de manifestations de contestation sociale des « gilets jaunes », à laquelle celle de lycéens s’est ponctuellement ajoutée, ont généré de multiples opérations, notamment de secours aux personnes et d’incendie, entre mi-novembre et mi-décembre.
Certains jours, jusqu’à 2 000 rassemblements sur voie publique, manifestations, barrages routiers ou blocages de dépôts pétroliers, totalisant plus de 200 000 participants, ont été dénombrés, avec des scènes d’une rare violence, parfois accompagnées de mises à feu de bâtiments comme au péage de Narbonne (11) ou de Bessan (34), dans un lycée de Toulouse ou à la préfecture du Puy-en-Velay. Lyon, Nantes, Saint-étienne, Bordeaux, Rennes : aucune grande agglomération n’a été épargnée. La capitale a connu une intensité maximale les samedis 1er et 8 décembre. Se fondant sur une « source policière », plusieurs médias ont cité pour Paris, le 1er décembre, 249 incendies dont 112 véhicules (dont deux de police) et 133 blessés, dont 23 côté forces de l’ordre. Aucun autre chiffre n’a été communiqué, que ce soit au plan départemental ou national, en dehors de données relatives aux interpellations, gardes à vue et condamnations. Au 15 décembre, le dénombrement des victimes fait apparaître huit décès dont sept « indirects » par accident de circulation (Charente, Isère, Drôme, Bouches-du-Rhône, Vaucluse, Aisne et Belgique) et un par éclats de grenade lacrymogène à Marseille (13), ainsi que près de 1 500 blessés, dont 50 grièvement.
Violences inédites
Pour le colonel Christophe Glasian, DDSIS de Haute-Loire, un tel épisode de violence était inédit en Haute-Loire. «J’ai déjà vécu des épisodes de violences urbaines dans d’autres départements, mais les sapeurs-pompiers ici ne sont pas habitués à l’hostilité, et sont parvenus à s’y adapter, analyse-t-il. Éteindre un feu sur un rond-point qui vient d’être allumé par des manifestants crée des confrontations. Toutes ces situations ont heurté notre culture.» Les forces de l’ordre, en posture défensive, ont été particulièrement éprouvées, «mais leur protection nous a permis d’intervenir en sécurité et d’éviter le pire », poursuit-il. Trois jours plus tard, le 4 décembre, le chef de l’état opérait sur place une visite surprise pour témoigner de son soutien à toutes les forces mobilisées. Une Sainte-Barbe et des jours qui précèdent que Le Puy-en-Velay n’est pas près d’oublier.
Par Dominique Verlet
Éléments favorables
• Visibilité directe sur la situation depuis le COD.
• Renforcement du dispositif par anticipation.
• Acheminement discret d’une réserve d’extincteurs supplémentaires.
• Protection par les forces de l’ordre.
• Protection des véhicules dans les jardins.
• Accès des secours par l’arrière, sans contact avec les manifestants.
• Prise en charge des blessés des forces de l’ordre à l’intérieur de la préfecture.
• Présence d’un point d’eau naturel dans les jardins, évitant une alimentation à partir de l’extérieur du site si nécessaire.
• Bâtiment sous détection incendie.
Éléments défavorables
• Violence imprévisible des manifestants.
• Présence d’engins agricoles lourds.
• Multiplicité des mises à feu (une dizaine) dans des points différents.
• Entassement de pneus, présentant un potentiel calorifique important en cas de mise à feu.
• Proximité sur la place des chalets en bois du marché de Noël.
• Intervention tôt le matin pour un feu de pavillon limitant dans un premier temps la capacité du CSP.
• Architecture ancienne du bâtiment, favorisant une propagation potentielle par l’intérieur et avec de grandes surfaces vitrées, le rendant vulnérable aux engins incendiaires.
Moyens engagés
Groupe incendie
• CCR Coubon
• FPTGP Le Puy
• EPA Le Puy
• CCR Cayres
Groupe secours aux personnes
• VSAV Allègre
• VSAV Landos
• VSAV Le Puy
Soutien sanitaire opérationnel
• VLI Cayres
• VL médecin
• VPC et chaîne de commandement