Transports héliportés, formation initiale aujourd’hui, un préalable demain ?
[MAGAZINE] Depuis quelques années, le Groupement hélicoptères souhaite travailler avec un nombre restreint de partenaires, mieux formés et aguerris aux différentes méthodes de treuillage. Après la spécialité « Sauveteur héliporté » destinée aux sapeurs-pompiers, voici la formation initiale « transports héliportés » pour les médecins et infirmiers urgentistes, qui pourrait devenir un préalable pour monter dans les hélicoptères de la Sécurité civile. Trois jours en immersion pour se familiariser avec les opérations de secours héliporté.
A leur arrivée à l’école de Valabre, les huit stagiaires connaissent déjà le programme de la formation. Le groupe est hétéroclite. Certains pratiquent régulièrement, d’autres viennent découvrir la spécialité. Damien et Candice sont médecins militaires à l’hôpital Laveran de Marseille et pour eux, cette formation est déjà obligatoire pour prendre des gardes postées à la base de Marignane. Didier, Norbert et Clément, respectivement médecin au Samu 13, infirmier principal sapeur-pompier et médecin au Bataillon de marins-pompiers de Marseille, sont tous trois déjà en poste sur Dragon 131. Ce stage vient valider des acquis et leur permettra de gagner en autonomie sur intervention. Olivier, médecin au Samu 33, est également familiarisé avec les secours héliportés, mais sur les plages de Lacanau, les treuillages sont rares. Même chose pour Dominique, sapeur-pompier infirmier professionnel au CTA-Codis 77 qui pratique le secours héliporté en milieu urbain. Enfin, Sébastien, infirmier en Smur et REA en Belgique, n’est jamais monté dans une machine mais sa volonté est d’intégrer un Smur en France.
Se former pour exercer l’art de son métier
Tout ce petit monde doit d’abord apprendre à se connaître et se faire confiance. La richesse de cette formation est aussi dans le partage d’expérience. Le premier jour est justement là pour travailler la cohésion du groupe. Le lieutenant-colonel Mijo, directeur de stage, veille au grain. Il rappelle que l’intervention héliportée est d’abord un travail de collaboration où chacun est là pour exercer l’art de son métier. « Vous allez apprendre à vous sécuriser tout seul et à travailler dans un espace réduit où les choix sont rapides. Chacun doit connaître sa partition, choisir uniquement le matériel nécessaire et adapté, vous ne pourrez pas tout emmener. Plus vite vous aurez les automatismes et la connaissance des règles de sécurité, plus vite vous pourrez évacuer le stress et faire votre métier, c’est-à-dire soigner les gens. » Cette formation est la première du genre. Certains ont déjà appris les gestes de sécurité sur le terrain mais beaucoup ont une expérience très limitée. Cela ne contribue pas à créer un climat
de confiance avec les membres de l’équipage.
Des nœuds, un peu de stress et des sensations !
Dans la discussion, tout paraît simple, mais arrivé au pied des falaises de Cassis, le stress commence à monter. Le premier exercice consiste à faire des nœuds pour préparer une descente en rappel. En intervention, il est très fréquent que l’hélicoptère ne puisse se poser près de la victime ni même treuiller l’équipe à proximité. Alors, savoir se déplacer en paroi devient vite une nécessité. Pour Sébastien et Didier, ces nœuds sont déjà une épreuve. Plusieurs essais, ils recommencent devant les yeux vigilants des encadrants. En mission, ils devront se débrouiller seuls. Pas de précipitation, il faut apprendre le geste juste, jusqu’à ce qu’il devienne automatique. Face à eux, la falaise d’une trentaine de mètres semble bien impressionnante. Un peu d’escalade, le temps est venu de tester son matériel et de mettre ses fesses dans le vide. Dans le cadre exceptionnel de la calanque de Port-Miou, la descente en rappel devient vite un exercice ludique, apprécié de tous. Moment magique, moment complice, chacun raconte ses expériences. L’esprit de cohésion voulu par Roland Mijo prend corps. Après un petit débriefing à chaud aux derniers rayons du soleil, Roland Mijo présente le programme du lendemain. La journée s’annonce longue et intense.
Après le crash, l’instinct de survie
Levés à 6 heures, les stagiaires ont rendez-vous sur la base militaire d’Istres dans les locaux de la société VSM Training, spécialisée dans les entraînements et les simulateurs d’hélicoptères. En deux groupes, le personnel découvre un terrain de jeu atypique. D’un côté une piscine à vagues avec un gloute, sorte de cabine destinée à être plongée dans l’eau pour simuler un amerrissage forcé, et de l’autre le SAGOD, un entraîneur mobile à l’hélitreuillage composé d’une cabine d’EC145 et d’un treuil, le tout monté sur des vérins. Dans le grand hangar, quatre stagiaires enfilent des combinaisons de plongée. Les consignes résonnent, la tension monte, l’écoute est totale. Le docteur Mathieu Coulange, chef du service de médecine hyperbare aux hôpitaux de Marseille et spécialisé dans la survie en mer, explique les problématiques du crash maritime. « Il faut savoir que la durée de récupération après l’impact est de l’ordre de 24 à 48 heures. Outre les facteurs limitants que sont la noyade ou les traumatismes, une fois sorti de la machine, rien n’est gagné. En pleine mer, le risque d’hypothermie arrive rapidement. Dans l’eau, la durée moyenne de survie est de 24 heures, d’où l’intérêt de se réfugier au plus vite dans le canot de survie. Au-delà, c’est l’aspect psychologique qui prend le relais avec une sensation de soif. » Le scénario est simple : un crash d’hélicoptère en pleine mer. Les deux premiers stagiaires sont installés et attachés dans la gloute. La cabine, accrochée à un palan, se déplace au milieu de la piscine à vagues avant d’être plongée dans une eau à 16 °C. Pour éviter d’être désorienté, le personnel à bord doit prendre des repères pour pouvoir se détacher, pousser les portes et remonter à la surface. Beaucoup d’appréhension, mais l’exercice, sécurisé par des plongeurs, est réaliste et finalement pas si difficile. Cela se complique quand la cabine se retourne, que la pièce est plongée dans l’obscurité et que, pour finir, il faut aller chercher le formateur coincé à l’intérieur. Paradoxalement, la mise en sécurité de l’équipage à bord du radeau de survie se montre beaucoup plus délicate. Il n’est pas simple de monter dans un canot pneumatique en mouvement sous une pluie dense, simulée par des jets d’eau. On s’attrape, se pousse, se tire, et enfin, on se met à l’abri. Essoufflé mais rassuré, le premier groupe peut maintenant aller se réchauffer.
En intervention, ne jamais confondre anticipation et précipitation !
Pendant ce temps, l’autre groupe écoute les consignes de sécurité données par Xavier Berton, mécanicien opérateur de bord (MOB) à la base de Marignane. Il détaille les bons gestes à bord de la machine et dans les phases de treuillage. Dans un contexte de réduction des heures de formation en vol, l’entraîneur mobile à l’hélitreuillage permet de multiplier les manœuvres avec ou sans civière, accrochage et décrochage, entrée en soute avec une civière. Monté sur des vérins croisés, l’outil peut s’élever jusqu’à 10 mètres du sol. Positionnement dans la machine, phases d’attache, gestes de communication avec le MOB, les stagiaires se prennent au jeu du treuillage. Les exercices s’enchaînent, le geste devient plus sûr. En parallèle, Alexis Ferrière, un radis comme il se nomme, médecin « rouge » au Sdis 13 et « blanc » comme régulateur au Samu 13, explique les particularités de ces interventions. « L’aérologie et surtout l’amputation sonore de la machine sont des facteurs handicapants pour le diagnostic sur la victime. Vous devrez anticiper le positionnement du matériel à bord, le fixer et adapter votre technique médicale en fonction du contexte. Mais surtout, vous ne devez jamais confondre anticipation avec précipitation. » Pour lui, pas d’ambiguïté, cette formation doit devenir un prérequis obligatoire pour le secours héliporté. à la pause déjeuner, les stagiaires partagent les expériences personnelles, les questions aux formateurs sont nombreuses. Rapidement, les groupes permutent. Tout va très vite, à 17 heures il faut déjà retourner à l’école.
Treuillage de nuit, la descente en terre inconnue
Après une heure de route, la nuit commence à tomber et l’EC145 se pose dans le parc de Valabre. Le temps de s’équiper, d’écouter les dernières mesures de sécurité, c’est reparti. Cette fois, pas de simulation, l’hélicoptère est bien réel. Par deux, les équipes médicales enchaînent les rotations pendant près de 2 heures pour finir par des treuillages de nuit, seul et à deux. Une première pour la plupart d’entre eux ! La principale difficulté est de guider le MOB accroché au filin, avant de mettre le pied à terre. De nuit dans un environnement hostile, l’opération est délicate à réaliser avec des obstacles parfois invisibles pour le pilote. Quelques sueurs froides mais à chaque fois, la solidarité vient au secours des moins aguerris. à 21 heures, la journée se termine enfin. La fatigue est là mais les regards en disent long sur la satisfaction des stagiaires. Le dernier jour, tout le monde se retrouve en haut des falaises pour des cas concrets avec une prise en charge médicale de victime en milieu naturel. Le secouriste descend le premier, sécurise le site, passe le premier bilan et réceptionne l’équipe médicale qui progresse sur le dispositif mis en place. Aujourd’hui, pas d’hélicoptère mais l’occasion de travailler en équipe et de revoir toutes les techniques de corde jusqu’à l’évacuation de la victime sur un point haut.
« Cette formation devrait être obligatoire pour le personnel médical ! »
Le stage se termine, c’est l’heure du bilan. Rassurés, les médecins militaires Candice et Damien se sentent maintenant prêts à prendre leurs premières gardes à la base de Marignane. Ils ont pu appréhender les contraintes liées aux milieux périlleux. « Pour nous, ce stage est déjà nécessaire avant de monter dans la machine. On doit se sentir à l’aise et évoluer en autonomie pour être opérationnels. » Avec son expérience de marin-pompier, Clément trouve la formation bien adaptée aux urgentistes, notamment avec le simulateur d’hélitreuillage pour décortiquer les gestes et évoluer en sécurité dans la machine. Il va même plus loin. « Je pense que cette formation devrait être obligatoire pour l’ensemble du personnel médical amené à prendre des gardes héliportées ! » Didier, également opérationnel avec le Samu 13, a découvert des techniques d’escalade qu’il n’a pas souvent l’occasion de pratiquer. Pour lui, l’entraide et l’émulation du groupe dans la survie en mer reste un moment fort. « On a vraiment la sensation d’être dans le réel, on est obligé de s’entraider. On ne privilégie personne, tous les équipiers sont importants, j’ai ressenti cette force-là. » Il aurait aimé plus de temps pour travailler les techniques de corde et repartir avec un petit fascicule pour réviser à la maison. De son côté, Sébastien s’est rassuré en paroi malgré sa prédisposition au vertige. « Toujours bien encadré, je me suis senti en confiance, prêt à dépasser mes appréhensions. Aussi, l’inter-collaboration permet de prendre les bonnes décisions en fonction des difficultés que d’autres maîtrisent complètement. » Conscient de ses capacités, ce stage lui ouvre de nouvelles perspectives. Olivier, plus habitué à la mer qu’à la montagne, veut partager cette expérience avec ses collègues du Samu 33. Il a découvert de nouvelles sensations avec le sauvetage en paroi. L’exercice de survie en mer lui a permis de dédramatiser un accident toujours possible. Norbert, lui, se félicite de la cohésion du groupe mise au service de la victime. « Je suis impressionné par ce que j’ai pu faire et qui ne me semblait pas évident au départ. L’encadrement est au top niveau, on se sent vraiment épaulé. » Dominique, l’infirmier du Sdis 77, a apprécié la pédagogie du stage et les moyens mis à leur disposition. « On apprend à se faire confiance, tout en restant vigilant et conscient de ses propres limites. C’est une vraie richesse de côtoyer des personnes d’horizons complètement différents. Pour moi, cette formation est indispensable. »
Reportage Patrick forget