Urgences santé… avec nos « néandertaliens » de proximité
[BILLET D'HUMEUR] Chaque mois, Bernard Laygues, ancien sapeur-pompier volontaire dans le Val d'Oise et journaliste honoraire, livre un billet d'humeur dans les colonnes du magazine "Sapeurs-pompiers de France - Le Mag". Ce mois-ci, il propose un retour sur un vibrant moment du congrès « Urgences 2019 » tenu en juin sous les houlettes de la SFMU (Société française de médecine d’urgence) et de SUdF (Samu-Urgences de France).
En compagnie d’autres orateurs, punchy pour l’occasion, le président de SUdF (Dr François Braun) annonce qu’il va « faire un peu de science… parce qu’on est dans un congrès scientifique ». Tant mieux : on écoute ! Alors, pour illustrer son propos, il projette l’image de l’homme de Néandertal(1), puis en contrepoint un gilet d’intervention d’infirmier sapeur-pompier. Et il filera la métaphore (en conférence TEDx) : « Comme dans l’évolution, il y a des branches, en tout cas c’est mon point de vue, qui sont vouées à la disparition. Néandertal a apporté son ADN dans notre construction, c’est-à-dire qu’il a été indispensable à un moment donné, mais il n’a pas survécu ».
Comme disait Talleyrand, "tout ce qui est exagéré est insignifiant".
Bonne précaution : avoir dit « c’est mon point de vue ». On peut, en effet, être un disciple d’Hippocrate et ignorer la génétique. Et puis, comme disait Talleyrand, « tout ce qui est exagéré est insignifiant ». D’ailleurs, était-ce là un argument pour s’en prendre aux infirmiers/ères des SSSM(2) ? Car l’on ne compte plus les savantes études qui contredisent l’assertion « scientifique » du Dr Braun. (Respect à lui !) Résumons-les avec Futura Santé, magazine numérique de référence : « La structure originale de l'ADN en double hélice lui permet de se dupliquer en deux molécules identiques entre elles et identiques à la molécule mère lors du phénomène de réplication qui a lieu avant la division cellulaire. L'information génétique n'est ainsi jamais perdue, et peut se transmettre […] via les cellules germinales. » Alors, peut-être longue vie à nos infirmiers/ères !
Voilà 26 ans, nous écrivions dans 200 000 sapeurs-pompiers volontaires… et vous (hors-série de notre magazine) : « Certes, il peut y avoir ici ou là une structure plus spécialisée, mieux équipée face à l’urgence… Il n’y a pas mieux répartis sur nos territoires, mieux accordés aux réalités locales, plus rapides, plus dévoués (ça compte !), plus obstinés à la tâche que ces généralistes du risque [pompiers tant volontaires que “pros”] ». Depuis lors, bien des infirmiers/ères – dont nombre d’IADE(3) – n’ont cessé de s’affirmer dans les Sdis, sous l’autorité des médecins-chefs. Avec ce souci récurrent : « La victime au centre du système. » Question : n’arrive-t-il jamais qu’une fois ou l’autre, ici ou là, face à une urgence vraie, un Smur ne puisse intervenir pour cause de docteur en médecine retenu ou retardé ? Alors, en lieu et place, vaut-il mieux un/une « infirmier/ère urgentiste » (titre non encore reconnu en droit, mais déjà de fait), ou rien de plus qu’une prise en charge secouriste, même au top de la formation et de l'équipement ? Question pertinente ou non ? Si c’est non, à quoi servent les Pisu (Protocoles infirmiers de soins d’urgence) signés par six organisations médicales, dont la SFMU(4) ? Certes, en la matière, le mieux ne peut se concevoir comme l’ennemi du bien. Mais ce mieux s’annonce-t-il partout et toujours comme à portée de main ?
Bernard Laygues
(1) En partie contemporain de l'Homme de Cro-Magnon, il a disparu autour de 30.000 ans avant notre ère.
(2) Services de santé et de secours médical (chez les sapeurs-pompiers).
(3) infirmiers/ères anesthésistes diplômé(s) d'État.
(4) La SFMU (présidée par le Dr Agnès Ricard-Hibon), le CARUM (Club des anesthésistes-réanimateurs et urgentistes militaires), le CFRC (Conseil français de réanimation cardio-pulmonaire), la SEMSP (Société européenne de médecine de sapeurs-pompiers), la SFAR (Société française d'anesthésie et de réanimation), la SRLF (Société de réanimation de langue française).
NDLR : les propos tenus publiquement à l'égard des infirmiers sapeurs-pompiers ont fait l'objet par la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) d'une réaction écrite auprès du ministère de l'Intérieur, du Conseil de l'Ordre des médecins et du Conseil de l'Ordre national des infirmiers, sans exclure a priori une action en Justice.